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Benoît Zagdoun
France Télévisions
Mis à jour le 24/06/2017 | 07:24
publié le 24/06/2017 | 07:13
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C’était il y a quarante ans, presque jour pour jour. Le samedi 25 juin 1977, à Paris, une poignée de manifestants foulent le pavé de la place de la République à la place des Fêtes. Ils défilent contre la répression de l’homosexualité, participant ainsi à la toute première Marche des fiertés LGBT de France. L’appel à manifester avait été lancé par le Mouvement de libération des femmes (MLF) et le Groupe de libération homosexuelle (GLH). A l’occasion de la Gay Pride, samedi 24 juin à Paris, deux militantes féministes de la première heure, Marie-Jo Bonnet et Anne-Marie Faure-Fraisse, racontent cette manifestation historique à laquelle elles ont participé.
« J’ai le souvenir d’une manifestation très joyeuse »
« Il ne faisait pas très beau… On était à peu près 300. Ce n’était pas énorme », se souvient Marie-Jo Bonnet. « Mais il ne faut pas oublier qu’à cette époque-là, on n’existait pas. C’était le tout début du mouvement d’émancipation. On était encore les anormaux. Il faut bien comprendre à quel point c’était audacieux de faire ça », insiste l’historienne, qui ajoute toutefois : « Ça s’est très bien passé. »
« C’était vraiment une première et nous en avions conscience. Mais j’ai le souvenir d’une manifestation très joyeuse. Oui, on a bien rigolé », abonde Anne-Marie Faure-Fraisse. Celle qui a consacré un livre aux slogans du MLF, dont L’Humanité s’est fait l’écho, se remémore les messages écrits ce jour-là sur les pancartes et les banderoles : « Avez-vous choisi d’être hétérosexuels ? », « Vos enfants ne risquent rien, ce n’est pas un maladie contagieuse », « Ne cherchez pas homosexuel au féminin, trouvez ». Ou encore : « J’ai pas honte, j’ai peur », « Je ne suis pas mâle dans ma peau », « Ma joie, être gay ». Et beaucoup de jeux de mots : « J’ai un goût doux », « Je ne suis pas normâles », « Ils sont mâlades ».
La première Marche des fiertés LGBT, le 25 juin 1977 à Paris.
La première Marche des fiertés LGBT, le 25 juin 1977 à Paris. (ANNE-MARIE FAURE-FRAISSE)
« C’était une action féministe avant tout »
« C’était une manifestation de femmes, il y avait très peu d’hommes », se rappelle Anne-Marie Faure-Fraisse, alors étudiante, comme de nombreuses autres manifestantes. « C’était une action féministe avant tout. L’idée de manifester avait été lancée par les femmes du MLF, et en particulier les homosexuelles présentes au sein du mouvement. »
« On se retrouvait chez les unes ou chez les autres. Il y avait aussi un café de femmes, le Glife, Groupe de liaison femmes et enfants, aux Halles, rue des Prouvaires où l’on se réunissait », poursuit Anne-Marie Faure-Fraisse. « Il suffisait qu’il y ait un groupe de quatre ou cinq filles qui décident. Ensuite, le réseau de celles qu’on appelait les ‘répondeuses’ faisait passer les infos et ça irriguait. Et on se retrouvait. Chacune arrivait avec les pancartes et banderoles faites dans une soirée en s’amusant avec des copines. »
L’époque de Harvey Milk
La manifestation parisienne s’inscrit en réaction aux menaces qui pèsent sur les homosexuels aux Etats-Unis. A San Francisco, Harvey Milk vient d’être élu à l’Assemblée de Californie. Le premier combat du représentant du Castro, le quartier de la communauté gay, vise une proposition qui autorise le licenciement des enseignants homosexuels. A Miami, c’est une mesure de protection qui a été prise par décret afin que des logements ou des emplois ne puissent plus être refusés à une personne en raison de ses orientations sexuelles.
Mais à la télévision américaine, la chanteuse folk Anita Bryant est, elle, partie en croisade contre les homosexuels. Elle est à la tête d’une organisation baptisée Sauvons nos enfants. Son slogan est un appel au meurtre : « Tuer un homosexuel pour l’amour du Christ ».
La première Marche des fiertés LGBT, le 25 juin 1977 à Paris.
La première Marche des fiertés LGBT, le 25 juin 1977 à Paris. (ANNE-MARIE FAURE-FRAISSE)
Gasoline et Gouines rouges
« La motivation du MLF, c’était de dire que cette campagne ne visait pas seulement les homosexuels mais menaçait aussi les femmes », explique Marie-Jo Bonnet. « Les luttes des femmes contre la famille, qui s’étaient considérablement développées partout dans le monde – avec le refus massif de faire des enfants, du mariage, du travail ménager sexuel gratuit et obligatoire ou les femmes sans hommes sans protecteur légal – étaient directement attaquées par cette campagne d’Anita Bryant. »
Le cortège parisien exprime aussi la volonté de rupture d’une génération. « On était tous jeunes et totalement insouciants. Notre mouvement se construisait contre les ‘réformistes’, les tenants de ce qu’on appelait ‘l’homosexualité de papa’. Nous, on voulait se démarquer du réformisme homosexuel, porté par la revue et le groupe Arcadie. C’était le début du coming-out. On n’avait plus peur d’être au grand jour, c’était ça la différence. Il y avait les Gasolines, des gars qui voulaient changer de sexe ou se travestissaient et avaient un discours critique sur les sexes. Pour les filles, c’était les Gouines rouges », énumère Marie-Jo Bonnet.
La première Marche des fiertés LGBT, le 25 juin 1977 à Paris.
La première Marche des fiertés LGBT, le 25 juin 1977 à Paris. (ANNE-MARIE FAURE-FRAISSE)
« C’était une explosion de joie, de désir »
Si la première manifestation LGBT de France a été très féminine, la première grande Marche nationale pour les droits et les libertés des homosexuels et des lesbiennes, en 1981, a marqué un tournant. « En 1977, c’était une explosion de joie, de désir, de jouissance… En 1981, c’était un esprit très différent, ce n’était pas la même énergie qui se manifestait. Les gays avaient pris le pouvoir et se bagarraient pour être au premier rang, en tête de cortège, derrière la banderole, pour la photo », analyse Marie-Jo Bonnet. « C’est au moment de l’arrivée de la gauche au pouvoir que les homos ont pris le pouvoir. Ils ont fait une manif en 1981, juste après l’élection présidentielle. L’arrivée de Mitterrand a éveillé des vocations, c’était subitement moins dangereux de militer. »
« La Gay Pride de 1981 était beaucoup plus sage, beaucoup plus conventionnelle. C’était un mouvement qui voulait se faire respecter, qui réclamait des droits. Et le combat législatif, qui a notamment abouti à la modification de la législation sur le détournement de mineur avec Badinter, a été plus le fait des garçons que des filles », juge Marie-Jo Bonnet. « 1977, c’était avant les années sida. Après, tout a changé, même si le mouvement Aids a été le prolongement du mouvement des femmes avec ses actions coups de poing très fortes dans les années 1990 », confirme Anne-Marie Faure-Fraisse. « Aujourd’hui, on observe une normalisation des homosexuels. Ils veulent être comme tout le monde, comme les hétérosexuels. Autrefois, ils revendiquaient leur différence et clamaient leur fierté d’être différent. »