membre du réseau de résistance franco-polonais F2
Un rapport rédigé à la Libération sur le secteur Normandie du réseau F2 est signé de cette phrase énigmatique : « le chef responsable pour la liquidation définitive du secteur est Catherine Marcel (TEC) n°3060 à Norolles. »
Qui a entendu parler d’un réseau de résistance situé à Norolles ? Et qui connaît Marcel Catherine, époux d’Irène Fossey, elle aussi résistante, dont la sœur Suzanne habitait une ferme à Norolles avec son 2e mari Jules Fleisch ?
Aujourd’hui nous allons rendre hommage à une famille qui a joué un grand rôle dans la résistance à travers sa participation au réseau de résistance franco-polonais F2 de dimension nationale. Dix membres de la famille ont été impliqués dans la résistance.
Tout commence avec Suzanne Fossey, née à Esquay Notre-Dame en 1886. Elle est l’épicentre de la famille. Elle a épousé en première noce Maurice Galan avec qui elle a eu deux enfants, Georges et Odette Galan, nés respectivement en 1906 à Paris et en 1907 à Grainville-sur Odon, au sud de Caen, chez les parents de Suzanne. Elle habite alors Paris et vient s’installer à Norolles dans les années trente avec son second mari, Jules Fleisch, qu’elle a épousé en 1927.
Ce sont les deux enfants de Suzanne et Maurice Galan qui vont entraîner toute la famille dans le réseau de renseignements militaires F2 en y recrutant cinq autres membres de la famille.
Reprenons la chronologie.
Georges Galan, le fils aîné de Suzanne, entre au réseau en mars 1941, à Marseille précisément où il est arrivé après s’être évadé du camp de Bataville. Le sud de la France est alors zone non occupée et c’est dans les grands ports méditerranéens que le réseau F2 va être implanté par des officiers polonais vivant en exil depuis l’invasion allemande de leur patrie. Il s’agit de recueillir des renseignements maritimes pour les Alliés, et notamment les Britanniques qui continuent le combat contre l’armée hitlérienne. Mouvements des bateaux indispensables pour le contrôle de la Méditerranée. En août 1942, Georges Galan, dit Edwinia, est chargé de réorganiser le réseau Famille décapité à Paris par le contre espionnage allemand. Il est envoyé en Normandie par son chef Gilbert Foury (Edwin). Il vient à Norolles, chez sa mère, et contacte sa famille du Calvados pour créer un sous-réseau en Normandie et en Bretagne qui s’appellera secteur TEC.
Sa tante maternelle, Irène Fossey, la sœur de Suzanne, a épousé Marcel Catherine qui est assistant de radiologie à l’hôpital de Caen. Il connaît des agents de la SNCF susceptibles d’être recrutés. Marcel Catherine entre dans le réseau en juin 1942 comme chargé de mission 1ere classe. Irène son épouse est recrutée comme adjointe au chef du sous-secteur Normandie Tec avec le pseudo Canne. Elle chargée de mission 2e classe (homologuée lieutenant). Ils vont diriger le secteur TEC qui coiffe tout l’ouest de la France, y compris Cherbourg où 2 agents fournissent des renseignements essentiels sur les mouvements du port de Cherbourg et de l’Arsenal. Dans la foulée, leur fille Marcelle, née en 1922, est également recrutée en juin 1943 sous le pseudonyme de Mic. C’est elle qui assure le courrier Caen-Paris, les liaisons Caen-Saint-Lô, Caen-Lisieux, Caen-Argentant et Alençon. Elle assure aussi le secrétariat du réseau. « En juin 1944, écrit Marcel Catherine dans son rapport final, le secteur Tec comprend 8 secteurs avec 8 chefs de secteur, 100 informateurs, un courrier Caen-Paris chaque semaine, une dactylo pour le rapport qui arrive au Central de Paris prêt à être expédié. » Ces rapports sont ensuite envoyés par radio à Londres où par la Suisse ou l’Espagne. Chaque source de renseignement est précédée d’un numéro attribué aux agents qui permet de les identifier.
A Norolles, Georges Galan recrute également son beau-père, Jules Fleisch qui entre au réseau en janvier 1943 sous le pseudonyme de Juna comme agent P2 chargé de mission 3e classe. Jules est un antiquaire, né à Paris en 1874, naturalisé français en 1930. Il est issu d’une famille juive allemande de nationalité anglaise. Il fait sienne les valeurs défendu par son pays d’adoption. Polyglotte, il parle couramment allemand ; Vieil homme âgé de près de 70 ans, il suscite peu de méfiance de la part des Allemands. On mesure l’intérêt d’un tel recrutement qui permet d’espionner les activités de l’armée ennemie, en particulier les sites de lancement de fusées V1 installés à Norolles, La Croupte, le bois de Roques, ces armes étant de terribles engins de destruction massive visant l’Angleterre.
Odette Galan, la belle-fille de Jules Fleisch et fille de Suzanne, est partie vivre à Nice après un second mariage en 1940 à Paris avec Paul Béraud. A Nice, elle fabrique des produits de beauté tout en s’engageant avec son mari dès mars 1942 dans le réseau F2 sous le pseudonyme de Reb, comme agent P2 chargée de mission 3e classe. Car à Nice, il y a un sous-réseau méditerranée dirigé par Léon Sliwinski (pseudo Jean Bol ; il est né à Moscou en 1913), puis par un couple extraordinaire Jacques Trolley de Prévaux et Charlotte (Lokta Leitner née à New York en 1907) qui prend la tête du secteur Anne en 1943 tandis que Paul Béraud dirige le secteur Nice jusqu’à son arrestation le 14 avril 1944 sur dénonciation. Odette est également arrêtée avec sa fille Arlette qu’elle a eue de son premier mariage avec Jacques Caperony. Arlette a seize ans et demi. Elle est libérée au bout de deux mois et sera recueillie par les voisins jusqu’à la libération de sa mère. En revanche Paul Béraud est fusillé à Châtillon d’Azergues le 19 juillet 1944 avec 51 autres détenus.
Arrêtée comme « complice de son mari et agent de l’ennemi », Odette est emprisonnée à Nice, puis à Marseille jusqu’au 19 mai, avant d’être conduite au camp de Romainville, antichambre de la déportation. Elle fait partie du convoi du 6 juin 1944 pour Ravensbrück où elle reste un mois avant d’être conduite à Leipzig, puis à Schlieben où elle travaille dans une cartoucherie 12h par jour, 6 jours sur 7. Son commando est libéré par les Américains le 20 avril 1945.
Odette et sa fille Arlette ne sont pas les seules femmes de cette famille à avoir payé un lourd tribut à la résistance. Soupçonnée de complicité avec un mari dont elle est séparée depuis 1939, Xénia Toutchapsky, épouse de Georges Galan, est arrêtée à Paris le 13 juillet 1944 par la Gestapo de la rue des Saussaies. C’est tout le secteur parisien du réseau F2 qui est décimé début juillet, en tout 26 agents, dont Jean Desbordes, chef du secteur Normandie dit Métro sous le pseudonyme de Duroc.
Xénia Toutchapsky est née à Petrograd en Russie en 1915. Ses parents ont émigré en France ; sa mère se suicide en 1931, son père est porté disparu. En 1932, âgée de 16 ans, elle épouse un voisin, Georges Galan qui habite chez sa mère 110 avenue Victor Hugo, à Paris. Ils auront trois enfants dont Émilienne leur fille unique qui meurt en 1946 à l’âge de 3 ans d’un grave accident domestique. Xénia ne voit pratiquement pas son mari sous l’occupation dont la boite aux lettres est localisée chez les frères Schreyer, des Suisses, habitant avenue Victor Hugo. Xénia est arrêtée « à la place de son mari », écrira Bernard Chaudé (pseudo Grégoire) à la Libération ; elle ne fait pas partie du réseau ; ce qui ne l’empêche pas d’être conduite rue des Saussaies, puis internée à Fresnes avant d’être déportée par le train du 15 août à Tab, Ravensbrück et Torgau d’où elle est libérée en 1945.
Ce que la Gestapo ne savait pas en juillet 1944, c’est que Georges Galan, son mari, avait quitté Paris en novembre 1943 sur ordre de ses chefs. Les Allemands le recherchaient déjà. Il part en Suisse où il est interné à Genève jusqu’en avril 1944. Il se rend alors clandestinement à Paris, se cache chez Wanda Carliez et reprend contact avec son oncle, Marcel Catherine pour l’informer des arrestations qui ont eu lieu dans la famille. Dans son rapport sur l’activité du secteur TEC, Marcel Catherine écrit : « En avril 44, 3 arrestations dans ma famille qui nous ont obligés à nous cacher. Nous avons continué malgré tout à assurer le service jusqu’au 2 juin date du dernier courrier. Après le débarquement, sans aucun moyen de transport, nous sommes venus à Paris en bicyclette, apportant des renseignements très importants sur les mouvements de troupes de la région de Caen et Lisieux et sur les effectifs de la région. Nous avons appris l’arrestation de Duroc et de plusieurs agents du service. Nous sommes repartis sans pouvoir communiquer ces renseignements. Coupés du service. Attends l’arrivée des alliés, revient à Paris, difficultés à retrouver le service. »
Marcel Catherine est donc au courant des arrestations de sa nièce et de son mari. La 3e personne arrêtée en avril est probablement Arlette. Mais la famille va être à nouveau frappée le 23 juin 1944, avec l’arrestation à Norolles de Jules Fleisch. Il est arrêté à 20h, chez lui en présence de Jules Le Boiteux, parce qu’il « Est aimable avec les Allemands pour obtenir des renseignements sur les mouvements des troupes et les communiquer à l’ennemi », est-il noté dans son dossier du SHD de Caen. La Wehrmacht est stationnée au château de Combray, tout à côté, et il a probablement été dénoncé. Jules est emmené au Château puis à la Feldgendarmerie de Lisieux et on retrouve sa trace le 28 juin à la prison d’Evreux. Et après, plus rien. On ne sait pas s’il a été envoyé au camp de Compiègne et mis dans un train pour la déportation à Dachau car on ne retrouve son nom sur aucune liste. Il a été déclaré Mort pour la France le 20 juin 1944 et son nom est inscrit dans l’église de Norolles et sur le monument aux morts du village.
En mai 1945, George Galan écrit dans son dossier de résistant : « Mon beau frère, mon beau père fusillés, ma femme et ma sœur déportées ».
Mais ce n’est pas tout. La sœur de Jules Fleisch, Alice, veuve Spire, a aussi été arrêtée le 27 juillet 1944 à Paris XVIIe. Déportée de Drancy par le convoi 77 du 31 juillet 1944, elle est décédée cinq jours plus tard à Auschwitz.
Et enfin, Jacques Caperony, gendre de Suzanne et premier mari d’Odette Galan, s’engage dans les Forces Françaises Libres en juillet 1940, à Londres. Il fera la campagne d’Italie et sera décoré de la Légion d’Honneur en 1948 au titre de direction régionale au matériel de la 3e région, c’est-à-dire la Normandie. Notons qu’il vit à Norolles dès 1936 avec Suzanne et Jules Fleisch.
Pour résumer le prix payé par toute cette famille à la libération de la France,
7 ont été homologués Forces Françaises Combattantes (FFC)
10 membres ont participé de près ou de loin à la Résistance.
1 s’est engagé dans les Forces Françaises libres à Londres
4 dont 3 femmes ont été déportés
Une sœur de résistant est morte en camp d’extermination
1 résistant est déclaré disparu en déportation
1 autre a été fusillé
2 sont « morts pour la France »
Le plus étonnant, c’est le silence qui a recouvert l’héroïsme de ces femmes et de ces hommes venus de Normandie et de l’étranger (la Pologne, l’Angleterre, l’Allemagne, Russie), c’est l’oubli qui a emporté cette famille, humble combattante de l’ombre dont la lutte a permis d’aider à libérer la France d’une idéologie immonde : la barbarie nazie. Son engagement dans la résistance n’a pratiquement pas été transmis. Les déportations de Xénia et Odette Galan, de Jules et Alice Fleisch, ont elles provoqué une volonté de protéger leurs proches en n’évoquant pas l’horreur des violences subies ? Le déménagement en Algérie pour Georges et Jeanne (sa 2e femme), et l’Afrique noire pour Odette et Arlette les a-t-il éloigné de ce passé à la fois si prestigieux et si douloureux ?
Soyons reconnaissants à cette famille de Norolles qui a participé à la résistance dans le plus grand secret, au point que la plupart d’entre eux n’ont guère été récompensé par la Nation. Il est temps aujourd’hui de leur rendre justice et de contribuer à une meilleure connaissance de leur action héroïque.
Georges Galan, Sous lieutenant – DGER- Croix de guerre à l’ordre du Corps d’armée FFC avec étoile Vermeil
Marcel Catherine, Croix de guerre citation à l’ordre de l’armée (DGER), Croix de vaillance polonaise. Affecté au R6 Rouen janvier-mars 1945, Service d’accueil des prisonniers rapatriés
Irène Fossey épouse Catherine Adjointe au chef du sous secteur Normandie. Chef Edwin. Croix de guerre, citation à l’ordre du régiment avec étoile de bronze (10 avril 1945)
Marcelle Catherine, Croix de guerre avec étoile de bronze
Odette Galan-Béraud, Légion d’Honneur
Paul Béraud, « Mort pour la France »
Jacques Caperony, Chevalier de la Légion d’Honneur (1948)
Xénia Toutchapsky, Légion d’Honneur
Jules Fleisch, « mort pour la France »
Alice Fleisch
Arlette Caperony
Et bien sûr Suzanne Fossey- épouse Galan et Fleisch