Regard de Marie-Jo Bonnet sur My flower bed, de Yayoï KUSAMA, exposée à Beaubourg, à « elles » :

kusama - my flower bed
kusama - my flower bed

Il faut avoir vu l’exposition de Kusama à la Maison de la Culture du Japon, à Paris (2001), pour comprendre que My flower bed donne une très faible idée de « l’imaginaire délirant » de cette stupéfiante artiste japonaise. Délirant, car la répétition d’un motif obsessionnel comme les pois signe son enfermement dans un monde clos. Et stupéfiant car cet enfermement nous ouvre les portes d’un monde intérieur aussi vaste que les galaxies. comme le montre Infinity Morrored Room (1996). Love Forever, de 1996 (Consortium de Dijon), propose également des images qui semblent surgies de la physique des fluides vue au microscope et qu’elle construit par un simple jeu de miroirs.

La singularité de Kusama éclate doublement. Dans son rapport à la culture japonaise d’abord, elle est née en 1929 dans une famille riche mais avec une mère autoritaire et elle a reçu une éducation artistique classique fondée sur la peinture Nihonga; et dans son rapport à la culture hippie américaine des années 1960, à laquelle elle participe dès son arrivée à Seattle, d’abord, puis à New York en 1957, au tout début du mouvement. Ses performances féministes se doublent d’une passion pour la transgression puisqu’elle a pu présider le premier mariage d’hommes homosexuels jamais réalisé aux Etats Unis le 25 novembre 1968. Pour ce jour spécial, elle avait réalisé une robe de mariée à deux places pour l’heureux couple.

A partir de 1973, elle retourne au Japon et, à sa propre demande, réside dans un hôpital psychiatrique de Tokyo, où elle vit toujours sauf quand elle part en voyage pour ses expositions.

My flower bed date de son séjour aux Etats-Unis. L’on appréciera tout particulièrement la poésie de cette fleur composée de gants de coton rembourrés et peints en rouge, avec, à ses pieds, des ressorts de lits glissés dans des bas rouges. Photographiée par Hiro, cette œuvre fit la première page de la revue américaine Art voices, (New York, 1965). On y voit Kusama habillée tout en rouge, dormant sur les ressorts au pied de la fleur. Dans une interview du journal, elle expliquait la mise en scène:

« J’ai fait mon lit de fleurs spécialement pour y dormir. La nuit, je suis très seule et j’ai très peur. Le noir, qui symbolise la mort, l’anxiété et la maladie, m’entoure. Des monstres semblent me menacer. Des rôdeurs font des signes derrières la porte ou grattent aux volets. Dans mon atelier, mes sculptures paraissent bouger. Je prend un tranquillisant ou un somnifère – peut-être j’appelle mon psychiatre pour me rassurer […] Maintenant, je suis comme un insecte qui retourne à ses fleurs pendant la nuit ; les pétales se referment sur moi comme la matrice protège le fœtus. Comme moi, quand la nuit tombe, le lion rentre dans sa tanière, le renard dans son trou, les oiseaux dans leur nid. Jusqu’à ce que le jour se lève, les fleurs de My Flower Bed se balanceront dans la nuit, m’éventant et me caressant tendrement, car la nuit est le temps de l’amour et du sexe ».

L’accrochage, au milieu d’une accumulation d’Arman, de Bernard Réquichot, et du Cumul de Louise Bourgeois, mettait bien en valeur la démarche de cette génération d’artistes qui dénoncent la mort industrialisée.

Découverte, en France en 1986, avec une exposition personnelle au musée des Beaux-Arts de Calais et de Dôle, puis en 2000 au Consortium de Dijon, elle est aujourd’hui mondialement reconnue. Comme elle le disait : « Je souhaite explorer de nouvelles idées tout le temps. Les expositions sont pour moi les meilleures occasions de les présenter. Dans une exposition, je veux exprimer visuellement les idées qui germent continuellement dans mon esprit, que ce soit par des formes ou à travers des espaces. » (cité dans le catalogue 2001).

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