J’ai le plaisir de vous faire partager la préface que j’avais écrite en 2008 pour le livre
« Les filles ont la peau douce« , de Axelle Stéphane, préface qui disparut (à mon corps défendant) lors de la deuxième édition.
La voilà devenue très actuelle….
Une nouvelle éducation sentimentale pour L
Pour qui douterait de l’utilité d’un Guide pour L, il n’est qu’a se souvenir de l’exposition « Le Zizi sexuel » , destinée aux adolescents et pré-adolescents et qui était censé les éduquer sur « l’amour et la sexualité ». Les présupposés « phallocentriques » d’un tel projet sont assez explicites, hélas, encore aujourd’hui, pour que nous lisions avec un intérêt redoublé le Guide pour L d’Axelle Stéphane. Et d’ailleurs, l’auteur ne s’en cache pas : c’est parce qu’il n’existait pas ce genre de livre dont elle aurait eu tant besoin dans son adolescence, qu’elle l’a écrit. Je pourrais en dire autant des miens, comme toutes celles et ceux qui écrivent sur ce sujet… occulté.
Reste à savoir s’il s’agit vraiment d’un Guide au sens classique du mot. Certes, comme toute guide, l’auteure nous emmène à la découverte d’un territoire réputé inconnu. Elle nous indique les grands itinéraires, les repères indispensables, les points de vues, les jardins et les petits paradis ; il y a aussi les chemins de traverses, les cours d’eau cachés et les chemins qui ne mènent nul part. Car pour qu’un guide de cette espèce soit vraiment utile, il est nécessaire d’envisager un maximum d’itinéraires, y compris les plus improbables, sachant, et c’est certainement la grande qualité de ce livre, que tous sont permis dès lors qu’ils respectent l’autre dans son humanité et ses goûts. Ici, nous sommes dans le pays des femmes plurielles, dans le respect de l’altérité, dans la reconnaissance de l’extraordinaire diversité des comportements érotiques, des passions du corps, des goûts et attachements amoureux propres aux saphiennes.
Au XIXe siècle le génial utopiste Charles Fourrier s’était exercé à les décrire par le menu dans son Nouveau Monde amoureux, écrivant notamment en ce qui concerne la passion saphienne : « On a pu s’étonner que j’ai fait autant de saphiennes de toutes ou presque de toutes les dames de Gnides. On voit dès à présent que les femmes dans leur état de liberté de perfectibilité comme celles de Paris, ont beaucoup de penchant au saphisme ».
Voilà donc un goût qui ne date pas d’aujourd’hui, et si les poèmes de Sappho ont pu, pendant longtemps, accompagner chacune de nous dans l’émotion du désir pour l’aimée, nous avons besoin aujourd’hui de nouvelles approches qui pourraient se conjuguer autour d’une éducation sentimentale.
Axelle Stéphane le sait par expérience, pourrait-on dire, et c’est pourquoi son Guide ne se contente pas de dresser la carte du tendre du désir lesbien. Il va plus loin, dans des terres plus sauvages, plus nécessaires, vers une connaissance du sentiment amoureux qui associe l’exploration des singularités du désir avec le travail de prise de conscience indispensable à toute pratique minoritaire. Axelle Stéphane explique la différence entre orientation sexuelle et identité de genre, entre la séduction et le désir, l’acte sexuel et l’orgasme, le début et la fin d’une relation, le couple et les relations multiples, sans oublier le point G qui n’a rien de mythique.
C’est pourquoi, j’aime ce livre qui initie à toutes les pratiques amoureuses des femmes d’aujourd’hui. Sans tabou, sans cache-sexe, avec un naturel et une santé mentale qui font du bien. Car l’amour, on le sait, est avant tout une pratique, et c’est elle qui détermine la qualité du temps passé avec l’aimée. Ne serait-ce que sous cet aspect, ce livre aurait rempli un grand service. Heureusement, il y a autre chose, comme un parfum d’asphodèles qui nous fait respirer l’amour des femmes.
Alors, oui, ouvrez ce livre, ne résistez pas au plaisir des sens.
Marie-Jo Bonnet